Le complexe de supériorité
On sait que la notion d’humanité, englobant, sans distinction de race de civilisation, toutes les formes de l’espèce humaine, est d’apparition fort tardive et d’expansion limitée. Là même où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il n’est nullement certain – l’histoire récente le prouve – qu’elle soit établie à l’abri des équivoques ou des régressions. Mais, pour de vastes fractions de l’espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion paraît être totalement absente. L’Humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent par un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois – dirons-nous avec plus de discrétion – les « bons », les « excellents », les « complets »), appliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages, ne participent pas des vertus – ou même de la nature – humaines, mais sont tout au plus composées de « mauvais », de « méchants », de « singes de terre » ou d’ «œufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver à l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations ou deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des Blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée si leurs cadavres étaient, ou non, sujets à la putréfaction.
MARIANA THURAM, LA PREMIÈRE ÉTOILE
Juillet 1980, Mariana Thuram, mère célibataire, quitte sa Guadeloupe natale en laissant derrière elle ses cinq enfants, âgés de 7 à 15 ans, pour trouver du travail à Paris, et espérant ainsi leur offrir une vie meilleure… Lilian n’a que 8 ans, Antonio 11 ans, Liliana 7 ans. Son frère Gaëtan (15 ans) et sa sœur Martine (13 ans) vont s’occuper des plus petits de la fratrie pendant toute une année avec l’aide bienveillante des voisins. Un pari risqué pour une femme déracinée qui tente sa chance à Paris. Elle parvient à trouver un emploi, un logement et envoie régulièrement de l’argent à ses enfants. Le jour de son départ de Pointe-à-Pitre, Mariana promet à ses enfants de venir les chercher un an plus tard pour les faire venir à Paris. Promesse tenue. Juillet 1981, la famille au complet s’installe à Bois-Colombes dans les Hauts-de-Seine avec le nouveau compagnon de Mariana et sa fille. Le compagnon s’avère violent. Quelques jours plus tard, Mariana part sans le prévenir avec ses enfants pour Avon, près de Fontainebleau, dans le quartier des Fougères.
NEDDO
Lilian, surnommé Lico par sa maman, rencontre un personnage fictif du nom de Neddo, figure de la cosmogonie peule. Neddo est l’homme primordial, celui qui a le don de l’esprit et de la parole. Il est chargé de veiller au maintien de l’harmonie universelle et transmet à sa descendance la somme de ses connaissances. Il symbolise pour Lilian Thuram les femmes et les hommes que nous rencontrons tout au long de notre vie et qui nous aident à devenir ce que nous sommes. Fil rouge de l’album, Neddo enseigne à Lico l’histoire de ses origines, des Antilles, de l’Afrique, et de l’esclavagisme. Lico ouvre grand les yeux, il découvre notamment ce qu’est le racisme. À son arrivée en France, il s’est fait traiter de « Noireaude ». Un sentiment de tristesse et d’incompréhension l’a envahi. Jusque-là, il ne s’était jamais posé la question de la couleur de sa peau. Neddo évoque également le nazisme, l’apartheid, la ségrégation raciale et resitue dans l’Histoire le droit de vote des femmes tout en évoquant la complexité des relations hommes-femmes. Le racisme n’est pas quelque chose de naturel, Lico. On ne naît pas raciste, on le devient.
SOLITUDE, LOUIS DELGRÈS, JOSEPH ANTÉNOR FIRMIN
Notre Histoire raconte également l’histoire de Solitude et du Commandant Louis Delgrès en Guadeloupe, et celle de Joseph Anténor Firmin, des étoiles noires essentielles à Lilian Thuram pour raconter l’histoire de l’humanité.
LES AUTEURS
Dans Notre Histoire, Lilian Thuram, en compagnie de Jean-Christophe Camus au scénario et de Sam Garcia au dessin, raconte l’histoire de sa mère et de celles et ceux qui forgèrent sa pensée et influencèrent l’homme qu’il est devenu. Pour Lilian Thuram, la transmission est une donnée essentielle dans la vie d’un enfant. Il est impor- tant pour les adultes de raconter leur parcours et de montrer la route et le chemin des possibles à un enfant. Lilian Thuram va régulièrement à leur rencontre dans les écoles pour allumer la petite flamme qui brille au fond d’eux, cette énergie qui ne demande qu’à éclore, et les aider à développer une bonne estime d’eux-mêmes, ce sentiment essentiel pour la construction de chacun. Lilian Thuram est né en Guadeloupe en 1972. Il a connu une prestigieuse carrière de footballeur international : champion du monde en 1998, champion d’Europe en 2000, vice-champion du monde en 2006, il a remporté de nombreux autres titres en club. Jusqu’au 28 octobre 2008, il a détenu le record de sélections en équipe de France, record appar- tenant aujourd’hui à Sandrine Soubeyrand, de l’équipe de France féminine. En 2008, Lilian Thuram a créé la Fondation Lilian Thuram – Éducation contre le racisme : www.thuram.org/site Lilian Thuram est l’auteur de Mes Étoiles noires, De Lucy à Barack Obama, Éditions Philippe Rey, Paris, 2010 ; Points-Seuil, Paris 2011 ; traduit en italien, espagnol et portugais et de Manifeste pour l’égalité, Éditions Autrement, mars 2012. Jean-Christophe Camus est né en 1962 à Paris d’une mère brésilienne et d’un père réalisa- teur de cinéma, Marcel Camus (Orfeu Negro, Le Mur de l’Atlantique). Il commence au début des années 80 comme maquettiste pour Charlie Mensuel puis devient directeur artistique des Éditions Delcourt. Il fonde en 1990 l’agence graphique Trait pour Trait avec Guy Delcourt. En 2008, il co- signe l’adaptation de La Bible en bande dessinée avec Michel Dufranne (six tomes parus à ce jour). Début 2009, il publie aux Éditions Gallimard un album inspiré de l’enfance brésilienne de sa mère intitulée Negrinha. En 2013, il publie Fraternités aux Éditions Delcourt, le premier tome d’une série sur l’histoire de la franc-maçonnerie. Sam Garcia est né en 1978 près de Barcelone. Il découvre la bande dessinée très jeune avec les magazines Métal Hurlant, Cimoc et Zona 84. Il étudie le design et les processus d’impression à la Graphic Art School, débute en tant que designer graphique, puis devient freelance et collabore avec différents éditeurs. I never liked you de Chester Brown est la révélation qui le décide à enta- mer une carrière dans la bande dessinée. Entre 2002 et 2005 paraissent les histoires de Opiku y Jill dans le magazine Norma Editorial, Articulo 20 chez Astiberri, et enfin Bonjour Paris en 2008 chez Dibbuks. En 2012, il publie Lunes Birmanes aux Éditions Delcourt sur un scénario de Sophie Ansel, un album puissant et sans concession sur la réalité birmane.